Crise de l'urbanisme à Ottignies Louvain-La-Neuve
Assemblée générale des étudiants de Louvain - AGL (Assemblée qui représente les étudiants de l'Université Catholique de Louvain). Par Delphine Masset
Louvain-la-Neuve semble être dans une course à l’attractivité davantage axée sur le portefeuille du consommateur de passage que sur un urbanisme au service de la qualité de vie des habitants.
Certes, nous savons combien les autorités doivent jouer avec des contraintes structurelles imposantes (financières et législatives), mais nous continuons à croire qu'il est possible, en initiant un certain déplacement, de « penser autrement ».
Parmi les problèmes actuels, le passage obligé du développement de la ville par l'extension de la dalle implique, du fait de son coût élevé, des collaborations avec de grands promoteurs immobiliers. Dans un premier temps, cette obligation initie un rapport de force en défaveur de la ville et en faveur du promoteur. Ensuite, cette « nécessité » a tendance à faire émerger des projets de (trop) grande envergure dont la gestion est rendue difficile (contrairement à une multiplicité de petites promotions). Ce que nous proposons serait de se décaler de cet impératif historique coûteux et relativement contre-productif, pour commencer à envisager une conception de la ville sans la finalisation de la dalle. Nous ne serions plus ainsi pieds et poings liés face à des promoteurs qui auraient toute puissance sur leur projet une fois le contrat signé et le terrain cédé.
nouveau projet pour l'esplanade |
Ecolo, une étiquette verte sur un projet de droite? On est en droit de se poser la question quand on voit à quoi ressemblerait l'extension pour produits de luxe de l'Esplanade.
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Évidemment, nous ne sommes pas opposés à la présence de commerces à Louvain-la-Neuve mais bien à l'existence d'un appendice fonctionnant en cercle fermé. S’il était prévu initialement qu’une liaison piétonne traverse l'Esplanade pour aérer le centre-commercial et rendre sa traversée possible d'un quartier à l'autre, cette condition ne fut pas respectée par Wilhem & Co (promoteur immobilier de l’Esplanade). Et ce pour la simple raison que confier la gestion de projets d’une telle envergure à une entreprise privée entraîne un risque important de non-respect des contreparties exigées par le bailleur (ici, l’UCL). En définitive, le prix de la « sous-traitance » d’un gros projet urbanistique avec un promoteur privé, c’est le risque de ne plus pouvoir contrôler le développement et les retombées du projet et ainsi voir passer les intérêts de la population après ceux du promoteur.
Pour revenir à l’extension de l’Esplanade, le dernier projet en date avancé par le promoteur immobilier Wilhem & Co (actuel propriétaire du terrain situé entre l‘Esplanade et la pompe à essence Total) prévoyait la construction d’une extension en forme de diamant géant. Celle-ci, censée accueillir des enseignes de luxe, devrait, selon Peter Wilhem (CEO de Wilhem & Co) permettre d’« upgrader » le contenu du centre actuel et capter une nouvelle clientèle plus privilégiée (La Savate de Février 2011 ; « Projet d’extension de l’Esplanade »).
En accord avec la pensée de Tim Jackson, Docteur Honoris Causa 2011 de l’UCL et auteur du livre « Prosperity without Growth », nous pensons qu’il serait plus sensé d’allouer cet emplacement à la création d’espaces et de services publics. Ceci afin de créer des lieux d’échanges et de rencontres au service de la population néo-louvaniste. Ceci, aussi, dans le but d’éviter que le centre commercial ne fonctionne comme une zone de transit mais devienne une zone de vie plus intégrée à la ville. Nous serions partisan d’utiliser cet espace pour la création de logements, d’espace publics (parcs, plaine de jeux, etc) ou encore de structure pouvant accueillir des services publics comme une maison médicale, un point vélo (comme dans certaines grandes gares de Wallonie et de Bruxelles) ou une maison des jeunes afin de miser sur les jeunes pour recréer une vie associative.
Les cas de l'Esplanade et de son extension ne sont pas des cas isolés de projets immobiliers en désaccord avec les principes écologiques et sociaux dont l’UCL et la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve se disent pourtant les garants.
Pour ne citer que quelques exemples, nous rappellerons la polémique autour de la construction du musée Hergé qui entraina la destruction d’une partie du bois de la source et de la maison des jeunes, le projet immobilier du parking du lac (terrain situé entre l’Aula Magna et l’église St François) qui accueillera notamment un hôtel et un centre thalasso, l’ « éco » quartier Courbevoie qui trônera sur 3 étages de parking sur un terrain jouxtant le quartier alternatif de la baraque (quartier autonome de Louvain-la-Neuve) ou encore la construction du musée de Louvain-la-Neuve au détriment d’une grande partie des étendues vertes du lac, lieu de détente privilégié des étudiants en été. Louvain-la-Neuve semble ainsi être actuellement dans une course à l’attractivité davantage axée sur le portefeuille du consommateur de passage que sur un urbanisme au service de la qualité de vie des habitants. Nous aimerions donc à l’avenir nous prémunir de mauvais choix concernant l’aménagement et l’urbanisme de Louvain-la-Neuve et en appeler à un débat sur la nécessité d’étendre la dalle au vu des implications urbanistiques que cela provoque. Selon nous, sortir de la logique contraignante de l’extension de la dalle et de ses implications financières ouvrirait la ville de Louvain-la-Neuve à un nouvel urbanisme moins mégalomane, plus cohérent et plus durable.
Projet d'extension de l'Esplanade
Si tout d’abord la nouvelle ne semblait être qu’une rumeur, les sorties de presse sur le projet d’une future extension de l’Esplanade sont aujourd’hui de plus en plus fréquentes. Il semblerait en effet que le projet soit pour certains à un stade bien plus avancé que la simple lubie. Bien que l’UCL et les membres du conseil communal n’aient jamais eu vent du projet, le promoteur immobilier Peter Wilhelm (dirigeant de Wilhelm & Co et potentiel concepteur-financeur du projet) semble avoir déjà les idées bien claires.
Ce projet d'extension de l'Esplanade, de la forme d’un diamant géant, est un projet d'envergure : « L'extension offrira trois niveaux de surfaces commerciales comptabilisant 25.000 m2.(...) L'investissement s'élèverait à 100 millions d'euros 1». Le complexe est destiné à accueillir des enseignes de luxe, comme le souligne le futur investisseur qui y voit une occasion d' « upgrader » le niveau du centre commercial actuel afin d’attirer une nouvelle clientèle plus privilégiée (interne et externe à la ville) : « une zone de 600 000 personnes de Gembloux, à Overijse, de la frontière Flamande, à Lasne-Ohain n’est pas entièrement captée ». Comme il le confie à la presse, le concepteur souhaite faire de ce nouveau centre commercial une des emblèmes de la ville. Ce sera « la première chose que l'on verrait en arrivant à LLN (...) une nouvelle icône de la ville 2 ».
Louvain-la-Neuve est une ville universitaire et, peut-être plus que tout autre ville, elle ne peut se permettre un tel changement sans l’avoir mûrement réfléchi. Si nous sommes loin de nous opposer à toute évolution de notre ville, ce projet est lié à un nombre considérable de problématiques que nous avons le devoir de ne pas passer sous silence. Voici quelques-unes des nombreuses interrogations que nous nous posons en tant qu’étudiants et citoyens.
Nul besoin de signaler que ce projet va à l’encontre des principes élaborés par les pères fondateurs de la ville. Si dans certaines dynamiques un parricide peut être nécessaire pour ouvrir la porte à de nouvelles perspectives, il ne faut pas néanmoins oublier la sagesse du terreau fondateur qui fut, ici, inspiré.
Les pionniers avaient à cœur d’en faire une vraie ville et non un simple campus, c’est à dire de mixer les différentes fonctions académique, commerciale et culturelle. Bien qu’ils reconnaissaient la légitimité du secteur commercial, leur but était d’éviter les enclaves. Ils attendaient de la ville qu'elle soit un espace pluri-fonctionnel, comme une ville qui se serait développée de manière naturelle. L’extension de cet énorme centre commercial tel un appendice gargantuesque à la ville est pour le moins interpellante.
En faisant de Louvain-la-Neuve une ville piétonne, inspirée des dédales médiévaux, les pères fondateurs voulaient forcer les rencontres, amener ses habitants à investir les espaces publiques. Ils misaient donc sur la convivialité, la mixité sociale et la prise de responsabilité publique afin d’inclure les habitants dans le jeu politique, de créer une dynamique plus consultative qu'ailleurs. Ils semblaient avoir compris avant l’heure l’importance de la démocratie de proximité. Or cette question de la « Démocratie » au sein de la ville est aujourd’hui menacée. En témoigne la manière dont la construction de la première Esplanade fut menée ou encore la question de l’augmentation de la taxe de séjour sur les étudiants qui ne possèdent néanmoins pas la contrepartie de leur devoir : l’espace pour s’exprimer sur la ville. Ne sommes nous pas en train de briser ces valeurs toutes particulières qui font la particularité de notre ville?
Si Peter Wilhelm ne doute pas de l’existence de consommateurs potentiels ni de la viabilité financière pour les investisseurs et les futures chaines de magasin (de luxe), le projet semble superficiellement réfléchi : « Ce qui interpelle le plus, à écouter le secteur de l'immobilier commercial, c'est l'absence de pensée globale. A l'image de Wilhelm & Co, l'économie et le commerce sont envisagés dans un système clos. Aucun intérêt n'est accordé à l'impact que pourraient avoir des stratégies commerciales sur d'autres sphères de la vie en société : environnement, sociale, aménagement du territoire, qualité de vie, santé. » dénonce Inter-Environnement Wallonie. Ne faut-il pas évaluer les conséquences d’un tel investissement sous d’autres angles que celui du prisme financier?